La fin de la guerre contre Daesh laisse l’Irak face à des défis colossaux

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Le Premier ministre irakien, Haïder al-Abadi, a officialisé la défaite totale de l'Etat islamique dans son pays le 10 décembre. «Nos forces contrôlent désormais totalement la frontière syro-irakienne, et je proclame donc la fin de la guerre contre Daesh», a-t-il annoncé lors d'une conférence de presse tenue à Bagdad. Alors que les opérations de combat s'achèvent, l'Irak doit désormais se reconstruire et faire face à ses anciens démons autant qu'aux nouvelles tensions que la guerre aura attisées.

Premier défi qui attend l'Irak : surmonter le traumatisme d'une guerre particulièrement meurtrière. Selon les estimations de la mission des Nations unies, près de 30 000 civils auraient péri entre janvier 2014 et novembre 2017. Selon d'autres sources, sur la même période, le bilan pourrait être bien plus lourd : l'Iraq Body Count Project avance le chiffre de 66 000 victimes.

A la mi-novembre, le New York Times publiait une enquête réalisée sur 150 sites frappés par l'aviation occidentale. Celle-ci établissait que l'ampleur des dommages collatéraux avait été fortement sous-estimée par Washington. Evoquant «la guerre la moins transparente» de l'histoire des Etats-Unis, les journalistes estimaient que les pertes civiles étaient 31 fois plus élevées que les chiffres officiels livrés par la coalition. 

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Outre les décès, les nombreuses exactions commises par les djihadistes, mais également par les soldats irakiens, laisseront sans doute des séquelles. L'Etat islamique a perpétré des massacres de grande ampleur, comme en atteste la découverte d'un charnier à Mossoul en juin dernier, contenant plusieurs centaines de cadavres. Il a également eu recours au viol et aux enlèvements, réduisant de nombreux civils l'esclavage : entre 4 000 et 1 000 enfants et femmes en auraient été victimes. Les minorités, comme les Yézidis, ont subi de plein fouet le déferlement de violence des djihadistes.

Après des destructions massives, une reconstruction très coûteuse

Alors que l'intervention américaine de 2003 avait déjà considérablement endommagé les infrastructures du pays, les combats de ces dernières années laissent de nombreuses villes en état de ruine. Si de nombreux centres urbains ont été anéantis, la ville de Mossoul restera sans doute le symbole de ces destructions de très grande ampleur. En mai dernier, les autorités irakiennes estimaient que la reconstruction de la ville nécessiterait au minimum cinq années de travail et plusieurs milliards de dollars.

Dans de nombreuses villes, des quartiers entiers sont encore inaccessibles à cause des gravas. A titre d'exemple, pour la ville de Ramadi, libérée des djihadistes en février 2016, l'ONU estime que 35% des bâtiments de la ville ont été totalement détruits. D'autres secteurs demeurent dangereux pour les civils, en raison des nombreuses mines qui s'y trouvent. Ainsi, à Falloujah, l'Etat islamique a piégé les décombres avant de déserter la ville en juin 2016. 

Les difficultés de la reconstruction seront sans doute accrues par l'ampleur des déplacements de population. Selon l'Organisation internationale pour les migrations, plusieurs millions d'Irakiens ont dû fuir leurs habitations pour quitter le pays ou se réfugier dans une autre région. Ils seraient 3,3 millions à avoir migré à l'intérieur du pays pour la seule période comprise entre janvier 2014 et février 2016.

La guerre a également ralenti l'économie irakienne, notamment parce que la confusion semé par le conflit a privé le gouvernement de ressources pétrolières importantes. En 2014, profitant des troubles suscités par la percée de Daesh, les Kurdes s'étaient emparés des champs pétroliers de Kirkouk, raccordant un oléoduc vers la Turquie afin de court-circuiter les exportations irakiennes. La zone avait finalement été reprise par Bagdad en octobre dernier.

Conscient de l'immense défi économique qui attend le pays, le gouvernement irakien cherche à obtenir le soutien de la communauté internationale. L'ONU n'a pour l'instant prévu qu'un plan d'aide humanitaire, qui ne sera donc pas dévolu à la reconstruction des infrastructures et des villes. «Nous avons besoin d'un plan Marshall», déclarait le ministre des Affaires étrangères irakien Ibrahim al-Jaafari lors d'une conférence à Londres en juillet 2017. «Les terroristes sont venus en Irak de plus de cent pays : notre pays s'est battu pour le compte du monde entier», plaidait-il. Il est impossible de chiffrer exactement le montant nécessaire à la reconstruction, mais le gouvernement avance la somme minimum de 85 milliards d'euros.

Un équilibre politique fragile et des tensions ravivées

Si les djihadistes de l'Etat islamique ont été chassés de la quasi-totalité du pays, un certain nombre d'entre eux se sont repliés dans le désert et comptent continuer à perpétrer des attaques. En septembre dernier, pourtant en déroute militaire, l'Etat islamique avait perpétré un attentat près de Nassiriya, dans la partie méridionale du pays, qui avait fait plus de 50 morts. Parce que la fin des prétentions territoriales de Daesh ne signifie pas la fin de ses actions terroristes, Bagdad doit désormais plus que jamais relever un défi face auquel il avait déjà échoué après l'intervention américaine de 2003 : asseoir son autorité.

La question communautaire risque de peser lourd à l'avenir. Les rivalités entre chiites et sunnites, déjà profondes, pourraient bien faire obstacle à la stabilisation de l'Etat irakien. D'autant que les sunnites, qui occupaient le pouvoir depuis les Ottomans jusqu'en 2003, ont été écartés de tous les postes de premier plan après 2003, lorsque les Etats-Unis ont appuyé la prise de pouvoir des chiites.

Cette fracture pourrait d'ailleurs favoriser un nouvel essor du terrorisme. «Tant qu'un sentiment d'amertume ou d'humiliation perdurera chez certains sunnites, le risque d'une nouvelle métamorphose ou résurrection de la mouvance djihadiste n'est pas à écarter», note Karim Bitar, directeur de recherche à l’IRIS et spécialiste du Moyen-Orient. En outre, les tensions régionales, conséquences notamment du conflit irano-saoudien, ne devraient pas améliorer la situation.

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Autre sujet d'inquiétude pour l'avenir : les prétentions indépendantistes des Kurdes, dont l'engagement militaire au sein des Forces démocratiques syriennes contre Daesh ont renforcé les revendications territoriales. Réagissant à la déclaration d'indépendance des Kurdes irakiens, proclamée après un référendum non reconnu par Bagdad fin septembre, le gouvernement irakien a lancé une opération militaire, refusant catégoriquement toute négociation au sujet du Kurdistan. Ce conflit dans le conflit a laissé un goût amer aux Kurdes, qui se sont par ailleurs sentis délaissés par Washington, pourtant soutien historique de leurs revendications.

 

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