La Catalogne, équilibriste sur le fil de l’indépendance

Stéphane Montabert
Suisse naturalisé, Conseiller communal UDC, Renens

Ce soir, l'Europe entière guettait le Parlement de Catalogne, où le président Carles Puigdemont allait peut-être déclarer une indépendance immédiate. En réalité, si M. Puigdemont demanda un mandat pour déclarer l'indépendance de la Communauté autonome, il laissa la place au dialogue demandant également le report de cette déclaration aux prochaines semaines.

Sa posture modérée provoqua la déception de la CUP (Candidature d'unité populaire), parti d'extrême gauche membre de la majorité indépendantiste du Parlement catalan, qui regretta "une occasion perdue de proclamer solennellement la république catalane". Mais, plus intéressant encore, le gouvernement espagnol aurait estimé quant à lui, sur la base du même discours, que Carles Puigdemont aurait franchi le Rubicon. Madrid aurait ainsi une justification à l'utilisation de l'article 155 de la Constitution, "l'arme nucléaire" qui autoriserait le gouvernement espagnol à "reprendre le contrôle" de la région, on se demande comment.

"Avec les résultats du premier octobre, la Catalogne a gagné le droit de devenir un état indépendant", affirma Carles Puigdemont. "Si chacun agit avec responsabilité, le conflit peut se résoudre dans le calme."

Mais déjà ce soir on peut parier que le président catalan ne sera pas écouté.

Un vieux contentieux qui s'enflamme

espagne,catalogne,indépendanceLes velléités indépendantistes de la Catalogne remontent au début du XXe siècle. Bien que la région n'ait jamais existé comme État souverain au cours de son histoire, l'idéologie indépendantiste repose sur la culture, la langue propre et le droit civil catalan qui les distinguent d'autres régions d'Espagne. La large autonomie accordée à la région par la Constitution espagnole post-Franquiste contribua à renforcer le sentiment catalan au sein de la population. La Catalogne a donc été placée depuis des années sur un chemin de semi-indépendance qui ne convient plus à personne:

Communauté autonome, la Catalogne dispose de son propre Parlement, de son propre gouvernement, de sa propre police, et se charge des questions d’éducation, de santé, de sécurité et des services sociaux. Le castillan et le catalan sont ses deux langues officielles mais, à l’école, les cours sont donnés en catalan.

La région n’est, en revanche, pas compétente en termes de défense, de relations internationales et de fiscalité. Ce dernier point est d’ailleurs central dans la volonté catalane de demander l’indépendance.

La Catalogne avait demandé en 2012 à Madrid de bénéficier des mêmes privilèges fiscaux que le Pays basque – soit percevoir directement l’argent de ses contribuables puis de décider de son utilisation – mais elle s’était heurtée au refus du gouvernement espagnol, ce qui a contribué à la montée de l’indépendantisme dans la région.

Depuis le début de la crise, Madrid joue mal. L'Espagne ne souhaite pas compromettre son intégrité territoriale, ce qui peut se comprendre, ni la manne que représente la force économique de la Catalogne, qui est selon plusieurs estimations - mais sont-elles fiables? - un contributeur net au budget espagnol. Le gauchisme historique des indépendantistes trouve donc un carburant inespéré avec le gouvernement de droite de Mariano Rajoy, mais aussi de ses agissements face à la fièvre indépendantiste.

L'UE discrète

Tout comme la Suisse, l'Union Européenne reste étrangement muette face à l'indépendantisme catalan. Le contraste n'en est que plus marqué avec d'autres pays déclarant unilatéralement leur indépendance au mépris de la Constitution de leur pays d'origine, comme le Kosovo. Certains y verront un deux-poids-deux-mesures vis-à-vis d'une enclave musulmane, mais il s'agit sans doute également d'une certaine pudeur à l'égard d'un pays membre de l'Union. L'Espagne n'est pas la Serbie et les capitales européenne montrent leur solidarité avec Madrid.

Le paradoxe est donc qu'une entité ultra-pro-européenne comme la Catalogne se retrouve ostracisée précisément par le club qu'elle chercherait à rejoindre. La faute tient en partie à la "doctrine Prodi", expliquent des chercheurs comme le professeur de science politique Frédéric Mérand, directeur du Centre d’études et de recherches internationales de l’UdeM (CERIUM):

Bruxelles reprend « la doctrine Prodi », du nom de Romano Prodi, ancien président de l’exécutif de l’Union. En 2004, il avait décidé qu’un État formé à la suite d'une sécession au sein de l’Union ne serait pas nécessairement membre de l’Union.

M. Juncker reprend sur cette lancée, aidé comme les capitales européennes par le jugement de la Cour constitutionnelle espagnole, qui trancha que la légalité du référendum ne relevait pas de la Catalogne. L'Union européenne, très légaliste, enferma ainsi le processus d'indépendance catalan dans une trajectoire potentiellement explosive:

Voilà le paradoxe : si Madrid avait fait preuve de tolérance à l’endroit du référendum, il n’y aurait probablement pas de problèmes. Le fait que Madrid soit aussi fermé rend la quête d’indépendance catalane extrêmement compliquée. La seule option pour la Catalogne consiste à se présenter en victime d’une répression — et Madrid donne des raisons de le faire. Mais même là, avant que les autres membres de l’Union dénoncent fermement la situation, il faudra plus qu’une saisie des bulletins de vote et l’arrestation de quelques personnes. Pour arriver à une véritable condamnation, il faudrait imaginer un bain de sang, ou en tout cas quelque chose qui sorte complètement de l’État de droit.

Tout semble penser que l'on se dirige droit vers cette trajectoire.

Piège démocratique

Les arguties juridiques sur la Constitution et le respect de l'État de droit ne veulent rien dire à partir du moment où le verdict dépend de l'interprétation de textes ambigus par des juges humains, donc hautement influençables sur un sujet aussi politique. Comme n'importe quel pays, l'Espagne peut difficilement accepter de se saborder sur la base d'un texte rédigé quarante ans plus tôt.

Pourtant, la "période de discussion avant l'indépendance" lancée par Carles Puigdemont permettrait de désamorcer l'aspect législatif de la crise. Il suffirait à Madrid d'expliquer comment la Catalogne pourrait quitter le giron de l'Espagne en respectant les soi-disant procédures constitutionnelles, sauf à décréter que c'est impossible, ce qui reviendrait de facto à abandonner l'état de droit derrière lequel s'abritent les anti-indépendantistes.

Nous n'en saurons sans doute jamais rien car il est probable que Madrid ne saisisse même pas la balle. Depuis le début le gouvernement madrilène table sur la confrontation, multipliant les obstacles administratifs et les déploiements policiers contre le mouvement indépendantiste. Le résultat est désastreux en termes d'image, mais aussi de légitimité. En cherchant à empêcher le scrutin du 1er octobre par tous les moyens, Madrid n'a réussi qu'à laisser s'exprimer dans les urnes les indépendantistes catalans les plus motivés. Le résultat est sans appel: plus de 90% des votants s'exprimèrent en faveur d'une république indépendante - sans aucun rapport avec la force des indépendantistes au sein de l'assemblée législative catalane, et la participation n'était que de 42%. Il est probable que si le scrutin avait pu être organisé dans des conditions normales, les indépendantistes auraient fait un bien plus mauvais score. En refusant de prendre ce risque, le gouvernement espagnol offrit sur un plateau une victoire politique à Carles Puigdemont.

Entre intransigeance et velléités d'indépendances libérées par un scrutin faussé, tout est en place pour une terrible confrontation. L'engrenage aura des conséquences incalculables pour l'Espagne, mais aussi pour l'Europe.

Stéphane Montabert - Sur le Web et sur LesObservateurs.ch, le 10 octobre 2017

Un commentaire

  1. Posté par Mouchotte le

    La Catalogne, c’est la région la plus riche d’Espagne. On n’a pas de mal à deviner pourquoi Madrid ne veut pas laisser filer sa meilleure vache à lait.
    L’Espagne est dans une situation financière que l’on peut qualifier de hautement préoccupante. Le résultat de quarante ans de social-démocratie alternée par de la démocratie sociale. Et la voilà qui se retrouve prise à la gorge par le Politburo de Bruxelles, qui lui impose toutes sortes de diktats pour assainir ses finances. Elle n’y arrivera de toutes façons pas, mais sans la manne catalane, ce sera encore pire. Le pays sera déclaré en faillite, comme la Grèce, et donc mis sous tutelle (encore plus qu’il ne l’est déjà, je veux dire). Et cela, les géniaux dirigeants (dirigeants-dirigés en fait) espagnols, les mêmes qui n’ont juré que par l’Europe pendant des décennies pour n’aboutir qu’à un fiasco complet, veulent l’éviter par n’importe quel moyen.
    Quant aux autocrates bruxellois, ils ont peur que la Catalogne, une fois indépendante, se refuse catégoriquement à entrer dans leur rafiot pourri qui prend l’eau de tous les côtés. Ce serait donc aux pays du « Nord » de faire vivre l’Espagne sous perfusion; et il se trouve que ceux-ci commencent à trouver la plaisanterie un peu saumâtre.
    Pendant qu’une vilaine proportion de nos Elites Infaillibles veulent, par idéologie et/ou par intérêt, ne rêvent qu’à attacher le wagon suisse au train fou de l’UE, on voit des politiciens catalans qui, à l’inverse, veulent une vraie souveraineté à travers l’indépendance. Sacré contraste! Ils ne le font pas uniquement par idéalisme, mais au moins savent-ils écouter les revendications de leur peuple: tout ce qui manque à une grande partie de notre classe politique…

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